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Code de la famille : la réforme tributaire aussi de l’efficacité du système judiciaire

Édicter des lois est plus facile que de les faire appliquer. Car, en l’absence d’un environnement propice et de mesures d’accompagnement, les vieilles pratiques et les habitudes invétérées finissent souvent par prendre le dessus, d’une manière ou d’une autre. Les associations féministes qui ont suivi de près la première réforme du Code de la famille en savent quelque chose. Selon elles, ce chantier ne peut être mené à bien que si le système judiciaire est doté de ressources humaines suffisantes et qualifiées, mais aussi de moyens logistiques et matériels conséquents.

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Dès les premières années d’application de la Moudawana, plusieurs associations féministes, confortées par des études et des recherches sur le terrain, ont mis le doigt sur les limites du texte et sur les contraintes qui ont émergé dans le sillage de sa mise en œuvre. Déjà à l’époque, ces ONG avaient appelé à une seconde réforme qui soit appréhendée dans un cadre plus large que celui des seules dispositions lacunaires.

Quelques années de pratique ont en effet démontré que d’autres défis majeurs, liés notamment aux capacités et à l’efficacité du système judiciaire étaient à considérer. Il va sans dire que les moyens humains, matériels et logistiques mis à la disposition des tribunaux impactent dans une large mesure la bonne application des dispositions du Code de la famille.



Cette question a été examinée d’ailleurs sous tous les angles dans le cadre d’une étude qui date de 2007, intitulée «Le Code de la famille : perceptions et pratique judiciaire». Ce travail de recherche, basé sur des enquêtes de terrain, relève que «comme toute réforme juridique, ce texte ne vaut que par son appropriation par la société et par les instances judiciaires et par son application dont le respect incombe essentiellement au corps des magistrats».

Aujourd’hui, cette préoccupation est toujours aussi présente dans les débats. Elle a été remise sur le tapis par la «Coalition féminine pour un Code de la famille basé sur l’égalité et la dignité», un collectif qui rassemble 13 associations féministes œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme à travers différentes régions du Royaume. «Pour que cette réforme atteigne ses objectifs, il faut considérer aussi bien les lacunes du texte que les acteurs qui veillent à l’application de ses dispositions dans le cadre des procédures judiciaires», relève Zahia Ammoumou, avocate au barreau de Casablanca et consultante juridique de l'association Tahadi.

Contraintes au sein du système judiciaire : Les juges en première ligne

Selon cette militante féministe, l’ambivalence, l’ambiguïté ou l’imprécision de certaines dispositions de l’actuel Code confèrent aux magistrats une marge d’interprétation et un pouvoir discrétionnaire qui influenceraient l’opinion judiciaire. «Cela transparaît notamment à travers l’absence d’une uniformité dans les jugements entre les différentes villes, et même entre les différentes instances au sein du même tribunal !», souligne Maître Zahia Ammoumou.

Il s’agit en effet d’un élément jugé d’importance qui revient souvent dans les discours des associations féministes. Celles-ci ne cessent d’exprimer leurs craintes quant à l’influence que pourraient avoir les convictions personnelles, le référentiel culturel ou idéologique, la formation, l’itinéraire professionnel ou encore l’expérience du juge de famille sur l’effort d’interprétation qu’il doit faire en cas d’imprécision du texte. D’où le plaidoyer en faveur de dispositions claires et sans ambiguïté à même de limiter la marge d’interprétation laissée aux magistrats.



Autre difficulté évoquée par l’avocate : le déficit notable en ressources humaines qui a un impact certain sur la bonne marche de la machine judiciaire et sur le respect des procédures. «Aujourd’hui, les juges de famille se voient obligés d’accélérer les procédures en raison de l’accumulation des dossiers», déplore Me Zahia Ammoumou.

«Nous avons remarqué qu’au cours des premières années qui ont suivi le lancement de la Moudawana de 2004, les magistrats se conformaient généralement au délai fixé par l’article 97 du Code pour statuer sur la procédure de divorce pour cause de discorde par exemple. Ce délai est de six mois à compter de la date de l'introduction de la demande. Mais plus on avançait dans les années, plus le temps de la procédure se raccourcissait», observe-t-elle.

Trop d’affaires, peu de ressources humaines !

Elle explique que les magistrats croulent sous les dossiers (40 jusqu’à 80 dossiers de divorce par jour), dont les plus nombreux sont les demandes de divorces pour discorde, ce qui leur laisse peu de temps pour un examen minutieux des cas et impacte par conséquent leur rendement. «Au vu du nombre élevé des demandes à traiter, il est difficile pour les juges de famille de consacrer à la procédure de conciliation tout le temps qu’il faut afin de favoriser la réconciliation des deux époux. Les divorces sont, de ce fait, prononcés rapidement après une procédure “cocotte-minute” ! Et on s’étonne après de la montée en flèche du nombre de divorces !», signale la militante.

Me Zahia Ammoumou précise toutefois que, dans ce cas de figure, la responsabilité n’incombe pas au juge puisqu’il est question d’insuffisance des ressources humaines. «Nous estimons que la procédure de conciliation ne devrait par échoir au magistrat, mais à une autre partie ou institution qui serait en charge de dresser le rapport stipulé dans l’article 95. Régler le différend qui oppose les époux nécessite certaines compétences dont le magistrat ne dispose pas forcément», recommande-t-elle.

Dans le même sens, la militante estime que, globalement, le juge de famille doit être doté d’une solide expérience et de compétences spécifiques eu égard à la nature des affaires traitées, dont une connaissance approfondie de toutes les conventions internationales relatives aux droits de l’Homme, ratifiées par le Maroc.

Toujours dans le rayon du capital humain, Me Zahia Ammoumou relève également les contraintes qui entravent les missions des assistantes sociales rattachées aux tribunaux de la famille. «Le manque de moyens logistiques empêche ces assistantes d’accomplir leurs missions, comme celle en lien avec la garde de l’enfant, laquelle consiste à établir le rapport relatif au logement de la personne en charge de la garde et aux conditions dans lesquelles celle-ci subvient aux besoins de première nécessité, matériels et moraux, de l'enfant confié à sa garde (article 172)», explique l’avocate.



La même situation s’applique également aux enquêtes sociales prévues dans les dispositions liées au mariage des mineures (article 20) où le juge est tenu à procéder soit à une expertise médicale soit à une enquête sociale pour autoriser le mariage avant l'âge de la capacité matrimoniale (18 ans). Mais dans la majorité des cas, voire la totalité, c’est la première option qui est retenue, car la moins compliquée.

Ministère public peu engagé dans les affaires de la famille

Me Zahia Ammoumou signale un autre enjeu en lien avec le rôle échu au ministère public en tant que partie principale dans toutes les actions visant l'application des dispositions du Code de la famille, tel que stipulé dans l’article 3 de la Moudawana.

«À la première lecture du Code de la famille, on se rend compte que le ministère public est impliqué dans bon nombre de ses articles, contrairement à l'ancien Code du statut personnel, où le rôle du ministère public apparaissait uniquement dans les dispositions de l'article 9 du Code de procédure civile qui prévoyait le cas où cette section était avisée d'affaires concernant les droits des mineurs ou le divorce pour absence. La mesure n'était que formelle et de routine. Elle ne conférait pas au représentant du ministère public la qualité de contrôleur effectif de telles affaires», souligne l’étude qui s’est intéressée à la pratique judiciaire du Code de la famille.



Pourtant, affirme Me Ammoumou, c’est bien une autre réalité qui se dégage des nombreuses années de pratique au sein des tribunaux. «Le ministère public joue aujourd’hui un rôle “terne” et son intervention se réduit souvent à une tâche administrative routinière. Celui-ci doit pourtant jouer pleinement son rôle en tant que garant de la cohérence de l'application de la loi. Il doit réserver aux affaires liées au Code de la famille le même traitement qu’il assure aux affaires pénales, telle que la possibilité de former des recours à l'encontre de certaines décisions de justice et de les porter devant la Cour d’appel», avance-t-elle.

«Au tout début de la Moudawana, le ministère public était toujours représenté aux procès et remplissait ses missions d’observation, de contrôle, d’examen des dossiers... Mais son rôle s’est réduit au fur et à mesure à l’élaboration d’un rapport écrit qui atteste de l’application de la loi lors de la procédure. Nous n’avons jamais eu connaissance d’une affaire où le ministère public a fait recours contre un verdict inéquitable concernant le montant de la pension alimentaire ou l’entretien de l’épouse par exemple», déplore-t-elle.

Dans le même ordre d’idées, les chercheurs qui ont mené l’étude précitée confirment que leur passage à travers le circuit de la justice et ses institutions leur a permis de constater que plusieurs facteurs participent à rendre inefficientes les dispositions de la loi et les décisions de la justice, s’agissant notamment de la pension alimentaire, dont l’inertie du Ministère public.
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